Légendes

Deux voyages sont prévus aujourd’hui, la suite du camino portugués en direction de Coimbra et des découvertes parfois surprenantes en France. Plus quelques blagues pour finir le billet de ce jeudi. 

Retrouvons d’abord Alain Humbert dans ce 3ème extrait de sa nouvelle « le paraplégique ».  Alain avait perdu de vue Gorgio et Luis à Azambuja….

Le paraplégique (3)

Je ne les retrouverai que quelques étapes plus loin, à Fatima. Il y a trois jours le Pape François est venu y célébrer le centenaire de l’apparition de la vierge. Le sanctuaire a conservé un certain nombre des décorations installées pour l’occasion, dont un immense chapelet de perles blanches, suspendu très haut dans le ciel. Le lieu est solennel et incite au recueillement. Au fond d’une vaste esplanade se dresse la Basilique Notre-Dame-du-Rosaire.  A gauche une messe est célébrée en plein air, face à l’entrée de la basilique ; comme on le rencontre souvent dans les lieux saints, des fidèles parcourent les deux cents derniers mètres à genoux. Remontant doucement la file de tous ces gens qui sont venus ici avec l’espoir d’obtenir une grâce de la Vierge, j’aperçois Gorgio poussant le fauteuil ; le fauteuil est vide. Lorsque je le rejoins et que je m’apprête à lui demander où est son frère, je découvre Luis au sol, rampant sur le tapis de marbre. Il m’a vu, tourne légèrement la tête en ma direction et me sourit, mais je vois bien que pour lui l’exercice est douloureux ; Il ne veut pas ralentir ceux qui le suivent, alors il tire très fort sur ses bras pour traîner ses jambes inertes. Chaque mouvement de ses membres le fait grimacer atrocement ; son visage porte les stigmates de la souffrance. Gorgio m’explique qu’ils avaient initialement prévu d’être là pour la cérémonie de canonisation des deux petits bergers, Francisco et Jacinta, mais qu’un imprévu les avait retardés. Luis à beaucoup regretté ce contretemps, il aurait tant aimé assister à la bénédiction du Saint-Père. Parvenu à l’extrémité du chemin de marbre blanc, Gorgio hisse son frère sur le fauteuil et tous deux se dirigent vers la Basilique ; je les retrouverai un peu plus tard, se recueillant sur les tombes des petits bergers.

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J’avais évoqué avec eux ces problèmes d’hébergement avec les bombeiros qui n’accueillaient plus les pèlerins. Ils m’avaient confié avoir essuyé le même refus, la situation de Luis ne les avait pas particulièrement émus ; c’est vrai que dans leur activité ils en voient bien d’autres ! Alors comme moi, lorsqu’il n’y a pas de gîte municipal, ils se tournent vers les chambres d’hôtes ; quelquefois c’est compliqué, car toutes ne sont pas adaptées aux personnes handicapées, alors il faut frapper à d’autres portes jusqu’à trouver une chambre en rez-de-chaussée et facile d’accès.

Quelques étapes plus loin, le Camino rejoint Coimbra ; ancienne capitale du pays c’est une ville chargée d’histoire. Y fut construite la première université du Portugal, contemporaine d’autres grandes universités d’Europe comme Oxford, la Sorbonne ou Salamanque. La cité s’étend de part et d’autre du Rio Mondego ; son quartier historique qui intègre, outre l’université, la magnifique bibliothèque Joanina, est situé sur la colline de l’Alcacova où l’on accède par un dédale de ruelles, parfois entrecoupées d’escaliers. C’est dans une de ces rues étroites et pentues que je retrouve Gorgio et Luiz que je n’avais pas vus depuis Fatima. Ils ont alors gravi moitié de la pente conduisant à l’université et se sont arrêtés quelques instants pour laisser à Gorgio le temps de reprendre son souffle. Me voyant ils rient. Ce qui est surprenant chez eux c’est qu’ils rient toujours, comme si le handicap et les situations particulières dans lesquelles il les met les faisaient rire. Ils me disent vouloir faire l’ascension complète « pour ne rien manquer de ce qu’il y a d’intéressant à visiter ». Cette visite ils ne l’ont pas improvisée, elle était prévue sur « leur carte », ils savaient les difficultés qu’ils allaient rencontrer et les avaient intégrées à leur challenge. Lorsque Gorgio a repris sa respiration, qu’il a terminé de s’éponger le front de son mouchoir, je saisis une poignée du fauteuil, lui proposant de l’aider et là encore tous deux rient. Nous poursuivons ainsi, de ruelle en ruelle, soulevant le siège lorsqu’il faut escalader quelques marches d’escalier, faisant une pause quand la pente est trop raide. Je les quitte, au sommet, dans la cour intérieure de l’université, les laissant organiser la visite à leur guise. Bom Caminho os amigos !

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Alain retrouvera-t-il Gorgio et Luis ? A Porto ? A Santiago ?
Suite et fin de la nouvelle dans les pages 4 et 5 du document à télécharger.


Nous poursuivons avec une vidéo  transmise par Evelyne Studer.
La France des mythes et des légendes, à visiter ou revisiter dans un futur moins confiné !


Terminons, puisque nous sommes pour quelques jours encore « chez nous »,  avec quelques sourires  « spécial confinement » envoyés par Françoise Mendez :

  • Ça fait deux mois qu’on nous dit de nous laver les mains. J’ai hâte qu’on nous dise quand on pourra prendre une douche !
  • Suite au coronavirus, il n’y a plus que six nains avec Blanche Neige, Atchoum a été placé en quarantaine !
  • Ce n’est pas pour me vanter mais moi, l’envie de faire un footing, je ne l’ai toujours pas. Même maintenant !
  • Si on m’avait dit qu’un jour, je devrais me signer un mot pour m’autoriser à sortir de chez moi …..
  • Pensez à essayer vos jeans de temps en temps, le pyjama est traître.
  • Bon, il est 22h30, je vais aller me coucher car demain je passe la journée sur le canapé.

Mais avant, ci-dessous, la quarante-deuxième étape de notre feuilleton quotidien « Péleriner confinés » par Denise Péricard-Méa.

Nicole


Péleriner confiné, étape n° 42

Deux royales amours espagnoles

Le sceau de Constance de Castille

Plusieurs fois, des alliances franco-espagnoles ont été scellées par des mariages.
Les deux, objets de l’étape d’aujourd’hui, ont été prétexte à un pèlerinage à Compostelle. Le premier est celui du roi de France Louis VII, qui a eu la singulière idée de répudier son épouse Aliénor d’Aquitaine. Le second, celui de Jean de Brienne, un roi bien oublié du temps des Croisades, un roi de Jérusalem.

Louis VII (1120-1180)

Louis VII épousa Aliénor à Bordeaux le 25 juillet 1137. Il fut fait duc d’Aquitaine à Poitiers quelques jours plus tard. Malgré la date du mariage, saint Jacques n’a pas évité la rupture dix ans plus tard, le 21 mars 1152.

Le sceau de Louis VII

Dépité, Louis VII se tourne vers la Castille obtient la main de Constance, fille du roi Alphonse VII de Castille, allié du comte de Toulouse. Elle a 18 ans. Il l’épouse à Orléans dans les premiers mois de 1154. Elle est sacrée le même jour.  Elle a pour tâche de donner un héritier mâle au royaume. Hélas, elle accouche d’une fille puis meurt en donnant naissance à la seconde, en octobre 1160.

Elle fut inhumée à Saint-Denis. Exit la reine, bien oubliée de l’Histoire, au profit de la suivante qui engendra Philippe-Auguste.

Le gisant de Constance

Les cendres de Constance ont été transférées en 1263 quand Saint Louis a décidé de réunir les restes de 14 de ses ancêtres pour rappeler la continuité dynastique. Pourtant, Constance n’est pas sa grand-mère, mais il rappelle ainsi que sa mère Blanche de Castille était de sa noble lignée espagnole. Sur son gisant est inscrit

Reine Constance qui vint d’Espagne.

Sur le gisant (image ci-dessus), Saint Louis l’a placée à la gauche de Philippe, héritier du trône mort à 15 ans, frère aîné de Louis VII.

Louis VII à Compostelle

Il reste un épisode peu connu de cette époque, celui d’un pèlerinage à Compostelle effectué par Louis VII et d’une visite à la cour de son beau-père Alphonse VII, d’octobre 1154 à janvier 1155. Cette période tardive laisse à penser à quelque affaire urgente à traiter.
Tout s’est effectué très discrètement et n’est mentionné que par l’abbé du Mont-Saint-Michel qui s’attarde surtout sur la visite faite par le roi au père de sa nouvelle épouse, qualifié d’« empereur des Espagnes », comme s’il remarquait une certaine supériorité :

Louis roi des Français se rendit à Saint-Jacques de Galice pour y prier et fut favorablement accueilli en Espagne par l’empereur d’Espagne son beau-père.

En Angleterre, un autre contemporain signale seulement le pieux pèlerinage.

Il est exact qu’à cette époque Alphonse VII se voulait le successeur de Charlemagne. Cette rencontre est suivie de plusieurs autres avec des princes au long du trajet du retour.

D’où cette mention dans les archives de Saint-Sernin :

Moi, Louis, par la grâce de Dieu, roi des Français, revenant de Saint Jacques et passant par Toulouse.

Les chroniques espagnoles de l’époque, reprises au XIIIe siècle, rapportent comment à l’aller à Burgos et au retour à Tolède Louis VII fut reçu avec un tel faste qu’il perdit ses « doutes » et repartit en disant qu’aucune cour au monde n’était aussi noble que la cour de Castille. Selon ces « doutes », Louis VII aurait eu vent d’une naissance illégitime de son épouse, ainsi que de dénigrements sur la pureté du lignage castillan.
Dans les siècles suivants, on mentionne encore parfois cette expédition.  Un historien écrit, en 1628 :

Nostre histoire dict, qu’après avoir […] espousé Constance, fille d’Alfonse, roy de Galice, il alla par dévotion en pellerinage à S. Jacques de ce lieu.

En 1868 ressortent les fameux doutes :

Pour s’assurer de la légitimité de sa femme, il fait semblant d’aller visiter son beau-père roi de Castille et faire le voyage de Saint-Jacques de Compostelle.

Jehan de Brienne (v.1170-1237),

Ce vassal des comtes de Champagne, cadet de sa maison et valeureux chevalier fit partie de la royauté de Jérusalem issue des Croisades.

A Jérusalem, l’hommage au roi Jean

En 1208, le roi Philippe-Auguste lui permet d’épouser Marie de Montferrat reine de Jérusalem, ce qui fut fait en 1210. Il est veuf dès 1212 puis une seconde fois en 1220.

Après la perte de Damiette (1220) il entreprend une grande tournée dans les Cours européennes pour aller chercher du secours.
En 1223 il est en France. Son unique biographe écrit au XIIIe siècle :

en 1224, alla à Tours où il prit solennellement le bourdon de pèlerin le premier dimanche de Carême pour aller visiter le tombeau de saint Jacques en Galice… La piété solide de ce prince eut sans doute beaucoup de part à ce voyage, mais la politique y entrait aussi pour beaucoup, aussi bien que le dessein de solliciter les secours des divers monarques d’Espagne…

Le biographe expose une autre raison de cette visite :

Le roi Jean était veuf et il n’ignorait pas qu’à la cour de Castille il y avait une jeune princesse qui convenait infiniment à ses intérêts.

Cette princesse était  Bérangère (1204-1237), fille d’Alphonse IX (1171-1230) roi de Léon et de Bérangère de Castille (1180-1246), sœur cadette du futur roi saint Ferdinand III (1199-1252).

Sa mère, dont elle portait le prénom, était la sœur de Blanche de Castille (1188-1252), épouse de Louis VIII et mère de Saint Louis (1214-1270).

Les Grandes Chroniques de France se sont fait l’écho de leur mariage :

… retourna par Burgos en Espaigne et là prit à femme madame Berengiere, sœur du roy de Castelle, nièce madame Blanche alors royne de France

Jehan, neveu de Blanche de Castille, épousa donc une cousine de  Saint Louis.

La Chronique tourangelle est seule à rendre compte de cette visite à l’église de saint Martin :

Dans l’octave suivant la Pentecôte, Jean, roi de Jérusalem, est revenu à Tours du pèlerinage de Saint Jacques avec la fille du roi de Galice, qu’il y avait épousée et qui fut reçue solennellement dans l’église de saint Martin, le seigneur roi venant déposer dans cette même église le bâton de pèlerinage qu’il y avait reçu.

Il ne s’attarde pas et remonte à Paris. Son épouse lui donne trois fils et une fille. Ils meurent tous les deux la même année.


Denise Péricard-Méa
demain : Avec Marie d’Agreda
retour à la première étape : Jérôme Münzer part précipitamment de Nüremberg

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