- Manola Salvador, pouvez-vous nous raconter l’historique de cette fresque, est-ce une commande, quel était le cahier des charges ?
J’avais dit un jour à Jacques Sutter, alors trésorier de l’Af-ccc, que je voulais bien faire une peinture pour décorer le gîte de Marnay et cette commande s’est transformée en fresque de 3 m sur 1,20 m le jour où Jacques m’a apporté la planche de cette taille. Je ne savais pas où cette peinture allait aller. - Vous avez vous-même accompli ce pèlerinage depuis votre domicile alors proche de Marnay, était-ce important pour aborder cette peinture ?
Oui, c’était important d’être moi-même pèlerine car c’est tout un cheminement. J’avais vu sur le chemin en Espagne une belle fresque à Sarria qui m’a donné envie de peindre moi aussi des pèlerins mais je ne savais pas quand je le ferais. Je savais seulement que ce serait dans l’idée du sens de la marche, que je peindrais des paysages de “chez nous”, donc francs-comtois, et j’ai plus peint en tant qu’artiste qu’en tant que pèlerine. - Votre marche vers Compostelle vous a-t-elle inspirée ? Avez-vous rencontré en chemin des œuvres comparables ?
Une fresque dans la ville de Sarria, à 100 km de Compostelle, m’a donné envie de peindre dans cette optique. - En écriture on dit “on n’écrit jamais que sa biographie” : est-ce vrai aussi pour un peintre ?
Disons que j’ai peint notre “chez nous”, les clochers, les croix pattées, les vaches et aussi mes chiens, dont la petite Marcelle (beige) qui a fait le pèlerinage avec moi, et Dersou (noir) qui a marché sur le chemin de Compostelle en Franche-Comté. Pour eux qui sont au paradis des chiens c’est un petit peu d’éternité que de figurer sur cette peinture… mais j’ai juré de ne plus jamais peindre mes chiens, car le dernier est mort juste après que je venais de le peindre. - Si vous étiez devant la fresque (sur le petit pont) avec un groupe de pèlerins marchant vers Compostelle que leur expliqueriez vous ?
Je leur dirais que je suis une ancienne pèlerine, que j’ai marché en 1999 depuis un village proche de Marnay jusqu’à Compostelle, qu’on m’a commandé une “petite” peinture pour saluer le passage des pèlerins en Franche-Comté. Je leur dirais que j’ai peint de tout près et que je n’imaginais pas que ce support serait accroché sur ce lavoir ni qu’on verrait cette fresque d’aussi loin. - De votre voyage vous avez peint 110 aquarelles rassemblées dans un ouvrage “Carnets de chemin” : avoir peint au jour le jour sur ce voyage a-t-il été important au moment de réaliser cette fresque ?
Non, l’aquarelle est un tout autre art. Pour cette fresque de Marnay, je ne me suis pas inspirée de ce que j’ai pu peindre en chemin ou après mon périple. - Vous avez fait deux autres fresques qui sont sur un terrain privé, pouvez vous nous en parler ?
C’était une commande de deux fresques (deux fois quinze mètres sur deux) de la part de la personne qui a cheminé avec moi en 1999. Nous avions le même ressenti de ce premier chemin. Ne sachant pas dessiner, elle voulait reproduire la frise de la Sierra del Pardon, sculpture métallique monumentale que l’on découvre en montant vers la rangée d’éolienne en arrivant de Pampelune, et la fresque de Sarria. Je lui ai proposé de l’aider et me suis prise au jeu. Comme c’était sur un terrain privé, je me suis sentie beaucoup plus libre : je pouvais m’inspirer plus de la fresque espagnole ; les trois dames en longues robes sont vraiment proches de celles de Sarria, après, dans le sens de la marche, un peu comme pour la fresque de Marnay, j’ai donné libre cours à mon imagination… fortement guidée par la réalité. Celui qui a cheminé sur ce chemin reconnaîtrait certains lieux ou ambiances. Là encore figurent mes chiens pèlerins. Pour séparer les deux fresques qui sont sur un même mur, j’ai peint le Jérémie de Moissac et deux petits curieux tirés du tympan de Conques. - Si la fresque de Marnay était à refaire, 15 ans après votre voyage repeindriez vous la même chose ?
Je crois que oui. Je referais encore un chemin de gens qui ont marché depuis longtemps, intemporel, une façon de marcher dans les pas de tous ceux qui ont fait le chemin. Je n’aurais pas pu peindre le chemin contemporain avec des gens en shorts, sacs à dos, casquettes et goretex. J’ai préféré de loin les grandes pèlerines, les besaces, les bourdons et les chapeaux à large bord. - Depuis votre première marche de Franche-Comté à Compostelle, vous avez fait d’autres périples sur les chemins de St-Jacques : y a-t-il, parmi tous ces chemins, un qui se distingue par la beauté des paysage ? Est-ce le premier qui prime dans votre mémoire sur le plan artistique ?
Sur le plan émotionnel, c’est le premier qui reste le plus beau. Je n’ai jamais retrouvé cette émotion, ce plaisir de la découverte, la magie des paysages. L’arrivée à Santiago par les petites rues, la musique de chants anciens espagnols au moment où on arrive à la cathédrale, ce sont des moments à jamais gravés dans ma mémoire. Sinon de tous les chemins que j’ai parcourus ensuite, la Via de la Plata est pour moi le plus beau car le plus dépaysant : paysages arides, champs de coton, oliviers, taureaux, cochons noirs… c’est le seul où il y ait tant de villes magnifiques. Le chemin del Norte est très beau mais les paysages de mer donnent plus une impression de déjà vu. La Plata est plus sauvage que la Castille que j’avais beaucoup aimée. On fait des étapes de 35 km sans rien, sans un village. C’est un paysage très aride et on peut décliner les ocres, les jaunes, les terres de sienne à l’envi. Cette première partie jusque Salamanque est magnifique et très dépaysante. Ensuite, avant Ourense, on arrive dans la montagne et on a des vues imprenables sur les différents massifs espagnols en contre-plongée et par beau temps c’est un régal pour les yeux.
► On peut retrouver les aquarelles de Manola Salvador dans le livre :
Carnets de chemin : de Besançon à Compostelle en aquarelles
Textes de Madeleine Griselin et Marcelle d’Andelarrot
Éditions Créer, 2002
C’est vraiment extra… Ce site est une formidable vitrine pour l’Association et le Chemin