Sensation

11 mai : nous retrouvons une semi-liberté de mouvements.

La fin de notre blog « confinés oui isolés non »  approche….
Le dernier envoi régulier  (J’image votre déception !)  aura lieu demain 10 mai.

Mais, consolation, il reste quelques articles, informations, poèmes encore non parus. Des adhérents souhaitent peut-être faire parvenir de nouveaux éléments à partager…

Nous proposons ainsi de garder le lien créé à l’occasion de l’étrange période  coronavirus, avec une lettre qui sera adressée, de façon irrégulière, en fonction des informations que vous souhaitez diffuser à l’ensemble des adhérents. N’hésitez donc pas à poursuivre vos envois, ils seront publiés…   


Dans ce billet du jour, un peu de réflexion sur les effets et conséquences de la pandémie, de la détente sur le camino portugues et dans un  poétique champ de blé.

Pour Jean-Claude Simard, la chanson de Grand Corps Malade « Effets secondaires » est « poignante », pour Jean-Claude Nardin et Eliette Lapeyre, c’est «une chanson qui fait réfléchir et toujours juste ».
A vous de vous faire une idée….


Poursuivons maintenant avec Alain Humbert notre soirée-étape à Mealhada sur le camino portugues.
Dans l’épisode d’hier,  lui et ses compagnons de marche se sont régalés du fameux cochon de lait rôti, le leitão.

Mealhada (2)

De retour à la caserne, nous ne manquons pas de faire à Joâo les compliments qu’il mérite par rapport au choix du restaurant. Avant de nous laisser aller dans les bras de Morphée, nous passons quelques instants à discuter avec lui. Il nous parle de son métier, de son vrai métier, il est professeur d’éducation physique ; Il a choisi, en complément à son activité de devenir pompier volontaire, car au Portugal il y a très peu de professionnalisme chez les bombeiros, et paradoxalement le climat et la végétation font qu’il y a beaucoup d’incendies. Si certains malheureusement sont le fait de gens sans scrupules, la plupart sont provoqués par la sécheresse et la chaleur. Ce soir il est de garde et en cas de sinistre il fera appel à des collègues pour intervenir avec lui.

Cette nuit je me réveille vers trois heures du matin. Je ne sais pas si c’est la faute au téléphone de Joâo que j’ai entendu sonner dans sa chambre ou alors à ma vessie qui s’est rappelée à moi pour que je la soulage. Lorsque je passe devant la porte de Joâo pour gagner les toilettes, je l’entends parler en portugais et au ton de sa voix, je comprends qu’il se passe quelque chose de sérieux. Je me réinstalle ensuite dans mon sac de couchage pour retrouver le sommeil ce qui en général est assez rapide et je ne sais pas pourquoi, dans cette phase ou petit à petit on lâche pied avec le réel, je vois Joâo jaillir de sa chambre, vêtu de sa tenue de pompier. Il me voit éveillé, alors en achevant de lacer ses rangers, il me dit qu’il y a un incendie de forêt à quelques kilomètres d’ici, en direction de Coimbra. Je ne sais pas pourquoi cela me vient à l’esprit, mais je lui demande si je peux l’accompagner, que j’aimerais bien voir une intervention. Je le sens hésiter quelques instants, mesurant certainement les risques qu’il prend à enfreindre les règles de sécurité, puis considérant peut-être cette convivialité que nous avons eue tous ensemble au retour du dîner, il me dit :

– Ok, dépêche-toi de t’habiller et rejoins-moi au garage, je vais ouvrir les portes.

Je ne demande pas mon reste ; en moins de deux minutes, je suis prêt, euphorique à l’idée de pouvoir vivre une telle expérience. Elda et Luc n’ont rien entendu. Je descends les escaliers quatre par quatre et retrouve Joâo qui a déjà mis le moteur en marche.

– Prends cette veste et ce casque, tu les enfileras en roulant. Je te donne aussi un masque au cas où il y aurait de la fumée au sol, pour les chaussures, reste avec tes godillots.

Le camion démarre et nous quittons la caserne à vive allure. Joâo m’explique qu’il a prévenu des collègues qui nous rejoindront avec un autre véhicule. L’incendie s’est déclaré dans une zone boisée, mais menace le petit village de Botão. Les bombeiros de Coimbra vont nous venir en aide avec de gros moyens. Notre camion est équipé d’une citerne de 10 000 litres d’eau ce qui devrait permettre d’attendre les renforts. Lorsque nous quittons Mealhada nous apercevons déjà au loin la colline en feu.

Il y a beaucoup de vent et l’incendie va progresser rapidement vers le village. En général, dès que le jour se lève, les bombardiers d’eau interviennent, mais avec ce vent je ne suis pas sûr qu’ils décolleront !

Tout en roulant, Joâo poursuit ses explications :

– Quand nous arriverons, je me garerai à l’entrée du village et la priorité sera de protéger les maisons. La forêt c’est moins important, elle repoussera ! Le camion est équipé de deux lances, tu en prendras une et moi l’autre, et surtout tu ne prends aucun risque ! Le danger en pareil cas est toujours l’encerclement par les flammes, il faut toujours s’assurer que l’on a le dégagement pour fuir en cas de besoin !

– Ok, j’ai compris lui répondis-je.

Suite et fin, demain…..


Enfin,  Nadine la Toulousaine adresse, avec Van Gogh et Rimbaud, aux «marcheurs, randonneurs, promeneurs, baladeurs, amoureux de la nature, le souhait d’une sensation bientôt retrouvée ».

van gogh rimbaud.JPG


Et ci-dessous, la quarante-quatrième étape de notre feuilleton quotidien « Péleriner confinés » par Denise Péricard-Méa.

Nicole


Péleriner confiné, étape n° 44

Sous le costume du pèlerin

Le roi Stanislas déguisé en pèlerin

Dans ma besace aujourd’hui, pour marcher avec vous, quelques images et textes. Le costume du pèlerin est un costume pratique pour se dissimuler lorsqu’on a besoin d’anonymat.
Dès le XIIIe siècle dans le Roman de la Rose, « Abstinence se costume en béguine partant en pèlerinage, avec besace et bourdon ». Ailleurs un poète amoureux se déguise en pèlerin pour guetter la femme qu’il aime. Quant au diable, il lui arrive même de prendre la place de saint Jacques en copiant son costume.
L’un emprunte le costume pour fuir, un autre comme symbole d’un long exil, un autre pour revenir là où il a été chassé. Et de nombreux pour mieux escroquer les bonnes gens !

Le prétendant au trône de Castille fuit l’Espagne

La bataille de Najera

Au XIVe siècle, la Chanson de Bertrand du Guesclin raconte la fuite vers la France d’un roi castillan vaincu. C’était le temps où la Castille se déchirait entre deux rois, Pierre le Cruel soutenu par les Anglais et Henri de Trastamare soutenu par les Français. Henri de Trastamare vient de subir une lourde défaite à Najera, près de Navarette, le 3 avril 1367.
Du Guesclin est fait prisonnier par les Anglais et emmené à Bordeaux.

Pour le rejoindre et aller chercher de l’aide, Henri de Trastamare n’a qu’une solution, emprunter le costume d’un pèlerin de Compostelle qui lui garantit l’anonymat. Il n’est accompagné que de deux compagnons, cachés comme lui sous le même costume. Il part de Burgos  

Pierre le Cruel assassiné sur ordre d’Henri de Trastamare

Quand Henry prit congé, la reine pleura.
Or écoutez comment Henri se transforma :
En mode de pèlerin se vêti et chaussa
Lui et 2 autres sans plus, le roy prit le chemin
[…] Par devers Aragon le roi Henri s’en va
Et vint à Perpignan, là où le roi trouva.
[…] Sitôt qu’il l’a vu, pèlerin appela
[…] Venez-vous de S. Jacques le baron par delà ?

Ils sont invités à un repas « en l’onneur de S. Jaques et de Dieu tout premier ». Le roi Henri quitte Perpignan. Arrivé à Bordeaux, toujours sous le même costume, il se fait reconnaître à l’un des écuyers de du Guesclin qui organise une rencontre avec le prisonnier.
Tratamare finit par gagner, Pierre le Cruel est assassiné à Compostelle. C’est le mari de sa fille qui est revenu à l’assaut quelques années plus tard.

Stanislas Leszczynski, le roi en exil

Le roi Stanislas déguisé en pèlerin

Combien de fois Stanislas Leszczynski a-t-il emprunté le costume du pèlerin ? Peut-être à chaque vicissitude d’une vie qui en connut plusieurs ? Il n’est donc pas étonnant qu’il ait voulu le pérenniser sur son portrait, peint par Oudry en 1730 (Il est aujourd’hui au musée de Varsovie). Il est le roi chassé de son pays. Stanislas, qui avait déjà une dévotion pour saint Jacques, est inhumé dans l’église Saint-Jacques de Lunéville qu’il a énormément embellie.

Stanislas Leszczynski (1677-1766) fut roi de Pologne de 1704 à 1709 puis chassé du trône. Il part en exil.
En 1714, le roi de Suède lui confie sa principauté des Deux-Ponts, proche de la Lorraine. Il en est chassé en 1718. Il se réfugie chez le duc de Lorraine.
En 1725, sa fille épouse Louis XV. Le voilà beau-père du roi de France. Il réside à Chambord.
En 1733, le roi de Pologne meurt. Stanislas part sous une fausse identité, arrive à Varsovie et est élu roi. Sa tête est mise à prix.
1734, il s’évade sous un déguisement et se réfugie chez l’empereur, Charles VI de Habsbourg qui est plutôt en froid avec la France… Négociations qui aboutissent à faire Stanislas duc de Lorraine et de Bar, en 1736. Sa fin de vie est assurée.

Le Morisque qui revient en fraude

En 1615, dans Don Quichotte de la Manche, Cervantès se fait l’écho de l’expulsion des Morisques, ces musulmans convertis au christianisme en 1499 sur ordre d’Isabelle la Catholique. Cette expulsion a été ordonnée par Philippe III en 1609 et exécutée l’année suivante, parce qu’il estimait que l’assimilation et la conversion avaient échoué. Sancho Panza rencontre un ancien voisin exilé qui revient caché sous l’habit du pèlerin avec un groupe de pèlerins allemands.

Sancho Panza rencontre un ancien voisin exilé qui revient caché sous l’habit du pèlerin avec un groupe de pèlerins allemands.

… Sancho vit venir sur le chemin qu’il suivait six pèlerins avec leurs bourdons, de ces étrangers qui demandent l’aumône en chantant. Arrivés auprès de lui, ces pèlerins se mirent à chanter en leur jargon, ce que Sancho ne pouvait comprendre  […]

Mais, au passage, l’un de ces étrangers l’ayant regardé avec attention, se jeta au-devant de lui, le prit dans ses bras par la ceinture, et s’écria d’une voix haute, en bon castillan :

Miséricorde ! qu’est-ce que je vois là ? est-il possible que j’aie dans mes bras mon cher ami, mon bon voisin Sancho Panza ?

Sancho et les Morisques

Sancho fut fort surpris de s’entendre appeler par son nom par ce pèlerin étranger. II le regarda fort attentivement, mais ne put venir à bout de le reconnaître. Le pèlerin, voyant son embarras :

– Comment est-ce possible, frère Sancho Panza, lui dit-il, que tu ne reconnais pas ton voisin Ricote le Morisque, mercier de ton village ?

Alors Sancho, l’examinant avec plus d’attention, commença à retrouver ses traits, et finalement vint à le reconnaître tout à fait. Sans descendre de son âne, il lui jeta les bras au cou, et lui dit :

– Qui diable pourrait te reconnaître, Ricote, dans cet habit de mascarade que tu portes ? Dis-moi un peu : comment oses-tu rentrer en Espagne, où, si tu es pris et reconnu, tu auras à passer un mauvais quart d’heure ? – Si tu ne me découvres pas, Sancho, répondit le pèlerin, je suis sûr que personne ne me reconnaîtra sous ce costume.

Un flot ininterrompu de fieffés coquins

Le Morisque en raconte de belles sur les motivations des pèlerins allemands :

je me réunis à ces pèlerins, qui ont coutume de venir en grand nombre chaque année visiter les sanctuaires de l’Espagne, qu’ils regardent comme leurs Grandes-Indes, tant ils sont sûrs d’y faire leur profit. Ils la parcourent presque tout entière, et il n’y a pas un village d’où ils ne sortent, comme on dit, repus de boire et de manger, et avec un real pour le moins en argent. Au bout du voyage, ils s’en retournent avec une centaine d’écus de reste, qui, changés en or, et cachés, soit dans le creux de leurs bourdons, soit dans les pièces de leurs pèlerines, soit de toute autre manière, sortent du royaume et passent à leur pays, malgré les gardiens des ports et des passages où ils sont visités.

Ne nous scandalisons pas trop vite ! L’Espagne s’en était émue dès 1598 et accusait non les Allemands mais les « Français et Gascons »

On voit passer et on héberge chaque année à l’hôpital de Burgos, où on leur donne à manger gratis deux ou trois jours, huit à dix mille Français et Gascons qui viennent dans nos royaumes à l’occasion du pèlerinage … En France, dit-on, ils promettent pour dot à leurs filles ce qu’ils auront amassé au cours d’un voyage aller et retour à Saint-Jacques, comme si c’était aux Indes, en venant en Espagne avec des pacotilles.


Denise Péricard-Méa
demain : Franco le Galicien et saint Jacques
retour à la première étape : Jérôme Münzer part précipitamment de Nüremberg

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