Nous étions 16, venant de toute la Franche-Comté (tous départements représentés) à attendre un éventuel retardataire paumé, en rade quelque part dans Champey (Haute-Saône, CC d’Héricourt), village pourtant ni très étendu, ni très populeux (850 habitants).
La vaste place en bordure de la RD 9 ne se cache pas, dissociée de la salle des fêtes (Salle du « Clair de Lune ») depuis que le préfabriqué réaménagé fut ravagé par les flammes.
Ici, l’astre des nuits et le feu entretiennent depuis un certain événement très particulier, une liaison « chaleureuse » qui chiffonne les habitants.
C’est justement, ce qu’en prélude au départ de la randonnée mensuelle d’août
2025, bravant les températures caniculaires, les marcheurs de l’AF-CCC et leurs amis – prochains adhérents en devenir – retiennent en écoutant un bref résumé relatif au village.
Son nom est affublé d’un sobriquet original. Partout, alentour, Champey est devenu « Champey la Lune », mais pourquoi ?
Le fait, avéré, se déroule bien avant la création des corps de sapeurs-pompiers, quand les villageois accouraient pour lutter contre les incendies, moins pour prêter main forte que pour empêcher une propagation qui pourrait les toucher.
En pleine nuit, un jeune niais qui partait – en douce – retrouver sa belle au village voisin remarqua une lueur qui embrasait le sommet de la colline et paniqué poussa un cri qui réveilla brutalement les habitants endormis :
« Au feu, au feu ! »
Tous sautèrent vivement dans leurs pantalons (pas les femmes) et accoururent avec seaux et pelles, guidés par la clarté qui ne pouvait venir que d’un incendie déclaré.
Mais ce qui les attendait, n’était autre qu’une lune pleine et resplendissante qui indifférente lorgnait une armée de gesticulateurs courroucés…
Allez ! Il est temps de partir ; tant pis pour les retardataires.

Montant tout d’abord en direction du cimetière (pas d’arrêt), on s’en détourne à temps pour enfiler un sentier qui offre une perspective d’ensemble du village.
Peu après, nous attrapons une route forestière qui grimpe dans la forêt. Ayant fait son office, elle capitule en passant le relais à un bon chemin au sol recouvert de résidus de grès et granit désagrégés, rappelant l’origine vosgienne du massif culminant au mont Tronchet à 524 mètres.
Arrêt regroupement des traînards ; changement de direction. Nous embouchons un sentier qui s’oriente sur le relief en restant à bonne hauteur ; un chemin des crêtes… s’il y en avait. L’exiguïté du sentier oblige à marcher en file indienne en se glissant entre les fougères retombantes qui ne s’écartent que pour dévoiler les touffes de myrtilles, pousses nombreuses mais vierges de toutes baies.
La forêt garde son caractère vosgien en montrant des chênes et hêtres suffisamment dispersés pour laisser circuler la lumière, mais ces arbres possèdent une ramure épanouie assurant de l’ombrage. Pas de ronces accrocheuses, un sol souvent nu où on aimerait y voir se dresser quelques champignons. La température de l’air ne paraît pas vouloir s’enfuir vers des records, une légère brise tempère l’atmosphère… tout semble au mieux.
Aucune branche tombée, pas d’arbre déraciné entravant l’avance, nulle ornière obligeant à des détours chaotiques. Tout est clair et net, domestiqué inspirant par endroit des pulsions créatrices (souche incrustée de capsules « Heineken », dolmen miniature dans ces lieux riches en réminiscences celtiques).
Le sentier bifurque soudainement et attaque une descente franche, jouxtant une arête dégagée. Une large fenêtre ensoleillée expose à perte de vue un réseau de collines boisées courant jusqu’aux premiers contreforts des Vosges qui s’évanouissent derrière un voile vaporeux de beau temps.

Arrêt obligatoire, un simple ralentissement ne suffit pas. Dix minutes plus tard nous embrayons à nouveau pour stopper après 150 mètres car une colossale masse de granit empiète sur le chemin. Une pancarte (branlante) précise que nous sommes à la « Pierre qui tourne ».
Naturellement, le rocher – vaguement plat et arrondi – ne se met pas à valser en nous voyant. Personne ne l’a sans doute jamais vu bouger, ou alors, personne n’est jamais revenu vivant pour le dire.

Quoiqu’il en soit, le bloc n’est impressionnant que par les légendes qui le singularisent, devenant mégalithe au temps des druides. Ces connotations féeriques figurent dans un recueil des « Contes de Franche-Comté ».
Parmi les récits, on peut-y trouver à propos de cette fameuse pierre :
- Dans des temps immémoriaux, existaient une race de petits hommes très savants, dominant la nature. Par protection contre des hommes méchants et jaloux, avant de quitter le pays, ils enterrèrent leurs bien et savoirs sous une énorme pierre, avec la protection d’un sortilège. Cette pierre, personne ne doit pouvoir la faire bouger.
- Pour l’auteur d’un livre recensant les plus importants trésors du monde, les archi-druides auraient caché leur or près de Champey en Haute-Saône sous un bloc de rocher appelé « la Pierre qui vire ».
Dans les deux cas, tous les cent ans, à minuit pendant la nuit de Noël, la pierre bouge et découvre les trésors cachés, les laissant à portée de ceux qui attendent… s’il y en a. Donc, celui qui se trouve là au bon moment peut prendre sa charge (très vite) et partir. Mais attention aux excès de cupidité ! S’il se retourne sur le magot, l’or disparaît, la pierre reprend vivement sa place et écrase le rapace.
Pour décourager les voleurs, il est dit que les nains et les fées ont consigné sous la pierre, un chien fabuleux qui dévorerait ceux qui tenteraient de s’approprier l’or en fraudant.
Des victimes, il y en eut, qui malencontreusement oublieuses des conseils, se sont retournées et ont péri, égorgées par le chien ou écrasées par la pierre. Les annales ont retenu le nom d’un infortuné habitant du village nommé Fridot.
Certains villageois se risquent peut-être en secret par le chemin qui mène à la « Pierre qui Tourne » pendant la nuit de Noël, mais personne ne peut dire quand elle a tourné pour la dernière fois…, sauf que les annales de la commune, bien renseignées, font état de la date de 1984… sans préciser la source des affirmations. Rendez-vous donc en 2084 !
Personne d’entre nous n’a cherché à savoir s’il figurait parmi les élus possibles, et nous passons en faisant un écart précautionneux.
Le chemin à flanc de coteau termine sa descente et se stabilise dans une zone dégagée appelée carrefour des trois bornes ; seulement en cherchant bien, on ne remarque que deux grosses pierres sur lesquelles ne figurent aucune marque.
Passons ! Toujours sous couvert, un chemin non balisé nous amène à l’entrée d’un hameau repoussé au bout d’une étroite voie tout juste carrossable : « Les Hautes Valettes », Sur la commune de… René à la solution, trois communes se prévalent d’avoir le hameau sur leur territoire ; d’où, les trois bornes.
C’est par la route forestière privée qui s’échappe du hameau que se poursuit la randonnée, encore sous couvert pendant cinq cents mètres. Il est 11h15 et certains estomacs commencent à s’impatienter.
« Encore une heure !
- Oh !
- Mais il n’y a que de la descente !
- Ah ! »
Descente, il est vrai, mais par une vaste tranchée technique rabotée par les forestiers ; du billard pour marcher, mais pas un poil d’ombre. Elle sinue suivant le profil d’un talweg qui se prolonge quatre kilomètres. Rien pour rompre la monotonie si ce n’est trois petits étangs planqués derrière une sylve sauvage.
Une barrière signale la rentrée dans le domaine public. Le chemin se resserre et bientôt apparaît l’étang dit « Réchal », étang de pêche que s’est approprié récemment la commune de Couthenans. La reconnaissance effectuée un mois plus tôt avait mis en évidence sur la rive opposée une couverture arbustive et des tables forestières frisant la vétusté, mais encore solides. Il nous reste donc à faire un demi-tour d’étang… en raccrochant au passage, le Chemin de Compostelle Franc-comtois, venant de Héricourt et allant vers Saulnot.
Déception, les tables ont disparu ! Le nouveau propriétaire a sans doute jugé qu’elles n’étaient plus aptes à tenir convenablement leur rôle. Alors éparpillons nous, sur certaines pierres plates, sur l’herbe, à l’ombre, au soleil pour amoindrir les effets d’un vent de face, qui s’est refroidi en léchant la surface de l’eau.
Nous sommes maintenant 17, car Nicole est venu nous rejoindre pour le repas, et terminer la balade avec nous.

Une heure d’arrêt avant de remettre le collier. Il est 13h30 quand nous nous confions aux balises bien connues, qui proposent de suivre le pied du massif boisé.
Dernier épisode en faisant un pied de nez à la raison ; tourner en direction du bois et remonter vers lui.
C’est contre toute logique, alors que les voitures nous attendent ! Que l’on se rassure. Dès l’entrée dans le bois, on repart dans le bon sens. Seulement, après deux cents mètres de sente en lisière, nous plongeons vers une reculée, occupée par un étang mignon comme tout, avec ses abords rasés de près et le fruit d’un entretien méticuleux.

Nous en faisons le tour en saluant pêcheurs et familles, puis par un petit pont de bois et l’aire de loisirs, nous retrouvons la rue qui nous ramène à nos voitures.
Nous avons parcouru plus de 14 km.
Tout le monde a bien marché, ça mérite bien un p’tit coup à boire. Non ?
Texte : Guy
Photos : René